Anhte Kazol était un homme dont le moteur
était l'ambition. Il était né dans cette Nohn-Ke-Shi,
de parents appartenant à la plèbe de la caravane,
en aucune façon esclave mais ce statut n'était pas
loin… Pendant toute son enfance, il subit la dure loi du nomadisme,
combien d'attaques de toutes sortes devaient-ils essuyer, dans lesquelles
des parents, des amis disparaissaient. Aussi quand il atteignit
l'adolescence, il savait qu'il mourrait dans la Nohn-Ke-Shi, alors
tant qu'à faire pourquoi ne pas mourir en ayant profité
de la vie et en ayant un statut élevé.
Dès lors sa vie se résuma à
gravir les échelons, un à un. Certains furent aisés
et rapides à gravir d'autres demandèrent plus d'efforts,
mais à trente ans il réussi à être le
conseiller du chef de caravane. Un an après, il s'unit à
la fille du chef de caravane. L'année suivante sa femme lui
donna un enfant, malheureusement la mère souffrant d'une
malformation mourut pendant l'accouchement. Anhte Kazol et son fils
se retrouvèrent seuls. Anhte Kazol tenta d'oublier son chagrin
dans l'administration de la Nohn-Ke-Shi, ses conseils insidieusement
commencèrent à être plus péremptoires.
En même temps le chef de caravane heureux d'avoir un petit-fils,
passait de plus en plus de temps avec lui, aussi c'est tout naturellement
qu'Anhte Kazol devint chef de caravane. Ce fût grâce
à lui que la caravane s'enrichit et devint une Nohn-Ke-shi
de premiers plans.
Huit ans après la mort de sa femme, son
beau-père fatigué de toutes ces années passées
au service de la Nohn-Ke-Shi, sombra dans un repos éternel
bien mérité. Anhte Kazol fut alors officiellement
déclaré chef de la caravane. Mais il n'en reçut
pas plus de réconfort, de s'être noyer dans la gestion
de la ville nomade, il n'en avait pour autant pas oublier sa femme
et son absence se faisait toujours plus douloureusement sentir.
Sans son beau-père pour le tempérer, sa gestion évolua
encore vers plus de dureté, tout en multipliant les injustices.
Son fils âgé seulement de huit ans se rendait compte
de ses erreurs, et commençait à œuvrer, avec
ses maigres moyens, pour réparer ces injustices et consoler
les gens brimés.
Quelques années plus tard, le jour de l'anniversaire
de son fils, de ses quinze ans. Passablement énervé
après avoir jugé une grave affaire de vol, en rentrant
vers sa tente, il se fit bousculer par un Jii-Rhân. Allongé
de tout son long il bouillait de colère, il fit venir sur-le-champ
le Jii-Ken propriétaire de la bête et commença
à le rouer de coups, malgré les injonctions de son
conseiller, sans l'intervention de son fils Anhte Kazol aurait sûrement
tué le vieil homme. Il comprit qu'il avait fait une erreur,
mais étant assailli par la paranoïa depuis un certain
temps. Il préféra former une garde personnelle de
mercenaires étrangers pour le protéger. Son fils lui
s'excusa auprès du vieux Jii-Ken, dont il devint très
proche, le vieil homme lui enseigna ainsi le sens critique, la sagesse
et la philosophie. Plus Anhte Kazol devenait antipathique, plus
son fils gagnait en popularité, ainsi se poursuivait la vie
de la Nohn-Ke-Shi…
Dans l'année de ses vingt-cinq ans, alors
que la Nohn-Ke-Shi traversait une grande plaine, ils furent attaqués
par des fauves, pendant qu'Anhte Kazol organisait la défense,
son fils sabre au clair repoussait les fauves. Quand les fauves
eurent prélevé leur dû, ils se retirèrent
laissant la caravane patauger dans le sang des siens. Puis on découvrit
le fils, mortellement blessé, son épée cassée
à son côté, il fut ramené à son
père. Malheureusement ce dernier n'eut rien à faire
d'autre que de le regarder mourir.
Anhte Kazol n'était alors plus que l'ombre
de l'homme qu'il avait été, voulant garder son fils
avec lui pour l'enterrer en terre Nohn-Ke, il acheta sans compter
de la glace pour conserver le corps de son enfant, ainsi il dilapida
l'argent de la caravane. Son conseiller ayant beau reprendre en
main la gestion du convoi, il ne put malgré tout l'empêcher
de l'appauvrir. D'autant plus que la nouvelle de besoin en glace
se répandait, et donc les marchands savaient qu'ils vendraient
leur glace à prix d'or.
De temps en temps, Anhte Kazol faisaient une apparition,
mais elles furent vite redoutées, car elles se terminaient
invariablement par des punitions, voire même une exécution
sommaire, et ce quelles que soient les raisons qui l'avaient obligé
à quitter le chevet de son défunt fils. Dans le même
temps, ses mercenaires gagnaient en autorité et en impunité,
dont ils ne cessaient d'abuser chaque jour davantage.
La nouvelle de la conservation d'un mort par Anhte
Kazol finit par arriver à l'oreille d'un terrible parasite.
Dès lors l'Ectat ne tarda pas à infiltrer les Nohn-Ke,
et se firent admettre auprès du chef. L'Ectat lui proposa
alors de ramener son fils à la vie, malheureusement ils auraient
besoin de temps et surtout de leur matière première
favorite, des corps vivants. Ils ne savaient pas combien de temps
cela pourrait prendre, cinq, dix ans… mais pour prouver leur
bonne foi, ils offrirent à Anhte Kazol une machine qui conserverait
son fils beaucoup mieux et plus longtemps que de la glace. Anhte
Kazol n'ayant d'autres désirs que le retour à la vie
de fils, accepta, ainsi commença un trafic faisant disparaître
enfants et adolescents, on ne s'en rendit pas tout de suite compte
car malheureusement les disparitions d'hommes ou d'animaux font
parties de la vie du convoi et ils se trouvaient dans une région
dangereuse. De plus les dépenses cessèrent presque
aussitôt d'être supérieures aux revenus, la Nohn-Ke-Shi
s'enrichissait de nouveau.
Alors que le convoi posa pied sur Mahina en vallée
Udrun, les disparitions continuèrent, le conseiller et le
vieux Jii-Ken allèrent se plaindre au chef de la caravane,
mais celui-ci ne voulut rien entendre de leurs plaintes et les chassa
sans autres cérémonies.
Mais les disparitions continuèrent de se multiplier, alors
qu'ils retournaient vers Nohn-Ke-Sar. Le conseiller n'y pouvant
plus mena sa petite investigation, mais il fût vite repérer
par les sbires d'Anhte Kazol. Une nuit, le conseiller à la
recherche d'une preuve dans les appartements du chef de la caravane,
se fit prendre par sa garde. S'en suivit une parodie de procès
où l'accusé ne put même pas prendre la parole
et où il fût accusé de la disparition des enfants.
Personne ne fut convaincu. Et le conseiller fut reconnu coupable
et en tant que tel, on lui brûla la langue, on le fouetta
au-delà du sang et on le laissa croupir au soleil dans une
cage trop petite pour lui. Malgré son isolement, il arriva
à regrouper petit à petit du monde autour de lui,
qui à leur tour répandaient ainsi un vent de révolte
dans toute la caravane. Aujourd'hui, ce conseiller a changé
de nom, il est " Celui qui c'est arrêté de voyager
" Rhallie, et malgré une voix restée faible et
rauque et son port douloureusement voûté, il sait se
faire entendre quand il dirige Nohn-Ke-Sar.
Durant la traversée du désert salé
d'Amonn, tous les jours le vieux Jii-Ken tentait d'intercéder
en faveur du prisonnier, qui sous le soleil de plomb sombra rapidement
dans le coma. Mais rien n'y fit Anhte Kazol voulait le voir mourir.
Comme tous les jours également, Anhte Kazol rendait visite
au prisonnier, se réjouissant de le voir sécher…
Lors d'une de ses excursions pénitentiaires, le Jii-Rhân
qui l'avait bousculé bien des années auparavant, le
bouscula de nouveau plus fortement, semblant lui signaler qu'il
allait trop loin dans la tyrannie. Ignorant le message, Anhte Kazol
fit abattre la bête sur le champ, le vieux Jii-Ken voyant
son vieux complice baigné dans son sang, fut emplit d'une
indicible tristesse et se donna la mort, près de son ami
assassiné, il retrouvait la paix.
Une vague indescriptible d'émotions enfla,
où se mêlaient colère, douleur, tristesse, peur,
haine. Cette vague fit enfin reprendre conscience à Anhte
Kazol, qui n'eut pas le temps de se lamenter sur les vies qu'il
avait détruites, dont la sienne, il savait que la mort était
proche et il l'acceptait résigner, car la mort, elle, est
juste. Toute la Nohn-Ke-Shi prit part à la chute de leur
chef et de sa garde. Mais une mort rapide était trop douce
pour la somme de mal dont ces hommes étaient responsables.
Aussi ils se firent lacérer, piquer, brûler, écraser,
éventré, mais ce fût vivant qu'ils se firent
empaler et badigeonner de sel face à face pour voir l'horreur
de leurs mutilations et surtout voir la mort arrivée lentement,
très lentement. Puis à leur pied, la foule abandonna
leurs bijoux et effets personnels cassés, brisés.
Ils étaient reniés.
Alors les Nohn-Ke retrouvèrent leur calme
et furent envahis par une immense tristesse et tous pleurèrent
et tous maudirent ce jour. Quand ils eurent fini de pleurer, ils
préparèrent enfin un bûché pour le Jii-Rhân,
son maître et le fils d'Anhte Kazol toujours dans sa machine
réfrigérante.
Le feu prit rapidement et devint gigantesque, qu'on le vit depuis
Nohn-Ke-Sar et même des montagnes à l'est de Mahina.
Et de nouveau les Nohn-Ke pleurèrent le départ des
morts.
Anhte Kazol sentait la chaleur du bûché dans son dos,
il perçut son rougeoiement sur la peau du garde qui expirait
devant lui. Mais il ne vit pas le départ de son fils vers
le monde des morts. Et là seulement il sut qu'il était
maudit. Et là seulement il pleura son fils… comme un
père.
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Depuis, ce jour connut sous la dénomination
de la Tragédie Nohn-Ke, tous les ans les nomades se souviennent.
Mais plutôt que d'en faire en jour de recueillement triste,
ils ont préféré en faire une fête ou
ils célèbrent avec enthousiasme leurs Jii-Rhân,
qui pour l'occasion sont décorés de guirlandes, d'étoffes,
de bijoux. Jii-Rhân sans lesquels les Nohn-Ke disparaîtraient
certainement.
écrit par JAZZY, Aout 2000. |